Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de SOBUDI

Dernière nouvelle: Le défi

10 Février 2010 , Rédigé par SOBUDI Publié dans #Littérature

 Une petite nouvelle pour amateurs de défis tordus!                                           

                                                           

                                                                 
Le défi

                                                       Christian Jean  Sobudi

 

Le mistral montait depuis midi. La mer, qu’on apercevait par une percée entre les rues, n’avait plus de couleur. Elle miroitait comme un papier d’argent dans le soleil couchant.

— Vé, l’ortifonis !

Cinq paires d’yeux se tournèrent vers la glace. La première appartenait à Fernand Peyre, trois autres aux amis du Bar des pêcheurs avec lesquels il jouait tous les soirs à la belote, la dernière à Titin Firousse, un brave garçon qui, debout derrière l’un ou l’autre, les regardait lancer les cartes, apportait les pastis ou les distrayait par ses commentaires décalés. En temps normal.

 En temps normal, car depuis l’installation de Caroline Manucci comme orthophoniste, deux maisons plus loin, le cours des parties s’était trouvé peu à peu perturbé. Vers dix neuf heures, Fernand commençait à s’agiter sur sa chaise. Il lançait des regards furtifs vers la baie vitrée, portait à la bouche son verre vide depuis longtemps, s’essuyait le front sec, n’avait plus la tête au jeu. Essayant maladroitement de cacher ses manœuvres, il guettait du coin de l’œil, le passage de la divine Caroline : Une seconde, guère plus, pour contempler cette silhouette fine, longs cheveux noirs au vent et profil d’ange, franchissant l’espace libre entre les affiches PICON et RICARD qui flanquaient les piliers.

Depuis que les autres avaient charrié Fernand sur le sujet,  Titin, avait pris le relais de la veille.

   L’ortho-phonis ! Corrigea Marcel, je te l’ai déjà dit.

         — L’ortho-pho-niste, amenda Loulou, le receveur du bureau de poste.

Charly, le garagiste discret, fit comme les autres. D’un mouvement uniforme, ils abandonnèrent la table pour regarder l’apparition. Déjà elle n’était plus.

Ils reprirent le jeu en gardant le même silence qui avait accompagné la rotation de leurs postérieurs vers la rue. Une concentration qui en disait long suivit ce bref instant de distraction.

— Moi, je lui donnerai bien volontiers un baiser.        

 Fernand manqua s’étrangler et balança son dix de pique sans réfléchir. Titin Firousse, debout derrière Marcel, ne quittait pas la baie des yeux. Les autre éclatèrent de rire.

 — Tu ferais quoi, Titin ? demanda Fernand.

           — Un baiser. Juste un baiser. Répondit-il, ignorant les sarcasmes des joueurs de cartes.

   Chiche ! S’écria Marcel.

           — Lui ? Tu rigoles, dit Fernand, le rouge lui montant au visage. Il sait pas compter dix pastis, il ressemble à une botte de blettes et il se prend pour qui ? Té, Don Juan, si tu l’as ton baiser, je marche pieds nus sur les oursins !

            Allez, Jésus ! Avant de marcher sur les oursins, réfléchis un peu à ce que tu fais, dit Marcel.

   Fernand !

   Qu’est-ce y a, encore ?

   Si je l’ai, le baiser, tu marcheras vraiment sur les oursins ? dit Titin.

           — Tu me prends pour qui ? Ce que je dis, je le ferai ! Tiens, pour la fête de l’oursin !

          

           Depuis l’apparition de Caroline Manucci, les parties de belotes n’étaient plus ce qu’elles étaient. Fernand se détachait du cercle. Il rêvait. Après l’avoir encouragé à aborder la demoiselle, constaté qu’il lui manquait un peu d’audace pour y arriver, les partenaires de Fernand décidèrent de le guérir de ses fantasmes. Loulou, le receveur des postes, avec sa longue habitude du travail avec les femmes, proposa d’aider Titin à obtenir le chaste baiser  qui lui tenait à cœur.

Un défi ! « Les femmes ne résistent pas à la faiblesse d’un homme simple », expliqua Loulou à ses comparses. En s’y prenant avec tact, ils l’obtiendraient ce baiser pour Titin.

 

Quand arriva le grand moment de l’oursinade, toute la ville se retrouva sur les quais. L’orthophoniste y vint avec un jeune homme de Marseille que personne ne connaissait. Loulou, Marcel et Charly, le garagiste qui d’habitude se contentait de rire, allèrent discrètement lui expliquer qu’elle pouvait donner une autre dimension à la fête. En riant, elle accepta de jouer le jeu.

L’animateur annonça le chiffre extravaguant de consommation. Des millions de gonades flamboyantes accompagnées de petit blanc avaient réjoui les milliers de participants. Ce fut le moment choisi par Marcel pour encourager Titin à passer à l’attaque. Les autres renchérirent : Le monsieur de Marseille était d’accord.

Alors, sous les yeux ébahis de Fernand qui enrageait de voir la belle brune en bonne compagnie, Titin se leva de table et se dirigea vers celle de mademoiselle Manucci. Et, Oh ! Mystère insondable de l’âme féminine ! Celle-ci lui baisa la joue.

    Alors ça ! murmura Fernand, j’en crois pas mes yeux !

    Tu sais ce qui te reste à faire, lança Loulou goguenard.

Fernand attrapa un morceau de pain et le  fit courir dans l’oursin qu’il tenait dans la paume de sa main. Il réfléchissait. Il s’était engagé un peu à la légère. Mais plutôt paysan que pêcheur il avait une grande expérience des embarras créés par sa grande gueule.

— D’accord, dit-il à ses collègues que Titin venait de rejoindre. ll arborait fièrement sur sa joue gauche une empreinte carmin.

Fernand attrapa le plateau d’oursins, le renversa à terre, sous les yeux horrifiés des voisins. Puis, il prit le cadavre d’une bouteille de vin, écrasa soigneusement le tas, roula la bouteille dans tous les sens, jusqu’à former une pâte de couleur et de consistance indéfinie. Lorsqu’il fut certain que plus une seule aiguille pourrait se planter dans son épiderme, il se déchaussa.

« Bien joué » pensa Loulou.

Intriguée par la scène, l’orthophoniste se rapprocha du spectacle improvisé. On lui expliqua alors ce qu’on avait omis de lui dire.

Elle ne put refuser d’embrasser à son tour le perdant astucieux d’un défi audacieux. Fernand Peyre y gagna une nouvelle amitié et une notoriété locale qui va jusqu’à Ensues-la redonne.

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article